Louise Bodin à Rennes : la Bolchévique aux bijoux
Elle se dépense sans compter : les transports sont lents, inconfortables. Ses adversaires critiquent la « bolchévique aux bijoux », mais des témoignages contemporains d’ouvriers disent leur admiration. Elle écrit régulièrement dans La Voix communiste, journal communiste départemental. Elle-même appartient à l’aile gauche du PCF ; or, les décisions des congrès du PCF et de la IIIe Internationale en 1922 entraînent le départ des francs-maçons et de la Ligue des droits de l’homme, ce qui pour Louise Bodin signifie des ruptures difficiles avec de vieux amis comme les Basch ou encore Séverine.
Elle justifie les nouvelles orientations, considérant qu’elles remettent au centre les ouvriers ; elle-même a toujours eu conscience du décalage entre sa position sociale et celle des ouvriers. À cette date, le PCF reste un petit parti qui n’a pas les moyens d’entretenir en Bretagne un journal par département ; La Voix communiste disparaît et est créée La Bretagne communiste à partir de février 1923. Elle en reste rédactrice mais elle insiste sur la nécessité d’articles qui soient des informations concrètes sur la vie et les combats dans les usines, les quartiers ; le ton change.
Un portrait très attachant de « la bonne Louise »
La maladie l’éloigne complètement de toute activité militante entre mai et décembre 1923. Elle reprend cependant une activité de rédactrice, participe à quelques meetings en 1925 et est secrétaire du Secours rouge. La bolchevisation du PCF en 1924 et sa réorganisation en cellules et non plus en sections, la volonté de mettre à la tête des fédérations, cellules, etc., des ouvriers contribuent à l’éloigner de toute activité (Eugène Le Moign la remplace en 1926 comme secrétaire de la Fédération) tout comme une santé qui se dégrade. Son activité militante est louée par ses camarades, y compris par ceux qui la remplacent.
En 1927, l’exclusion de Trotsky et de Zinoviev du PC soviétique provoque les mêmes exclusions au PCF ; parmi eux, des militants trotskystes, syndicalistes révolutionnaires, fondent en 1927 Contre le courant. En décembre 1927, elle adresse une lettre au Comité central du PCF affirmant sa dissidence et soutenant ce journal. Elle meurt en février 1929 du cancer qui la rongeait depuis plusieurs années.
À sa mort, plusieurs journaux ouvriers lui rendent hommage, mais pas L’Humanité.
C. Cosnier nous donne un portrait très attachant de « la bonne Louise ». Agréable à lire, comportant de nombreux extraits des articles ou lettres privées de Louise Bodin, cet ouvrage s’appuie sur une solide documentation publique ou privée, qui était au moment de ses recherches dispersée et difficile d’accès. C. Cosnier a su l’exploiter pour la plus grande joie de celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Ille-et-Vilaine, à celle – chaotique – du communisme naissant en France, ou à l’histoire des femmes. Malgré le développement de l’histoire des femmes et du genre depuis 1988, date de sa parution, l’ouvrage garde tout son intérêt.
Jacqueline SAINCLIVIER
(1) Ont seulement été ajoutés les mentions du dépôt de lettres adressées à Louise Bodin aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine et du fonds Bodin aux Archives municipales de Rennes. La préface d’Edmond Hervé se trouvait dans la première édition.
- Cette recension a été initialement publiée dans le tome CII-2024 des Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, p. 559-532.
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