Louise Bodin par Colette Cosnier, page 1 de couverture

Louise Bodin à Rennes : la Bolchévique aux bijoux

L’histoire de l’Ille-et-Vilaine et de la Bretagne, celle du communisme naissant et celle du féminisme

Colette COSNIER, Louise Bodin. La Bolchévique aux bijoux, préface d’Edmond Hervé, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Essais », 2023, 212 p.

La réédition de cet ouvrage de Colette Cosnier, qui nous a quittés en 2016, est la bienvenue ; le livre, initialement paru chez Horvay en 1988, est ici réédité à l’identique (1).

Lorsqu’elle a rédigé cet ouvrage, C. Cosnier était une pionnière. Professeur de littérature, elle abordait avec la rigueur scientifique nécessaire et une « plume » la personnalité de Louise Bodin qui détonnait à Rennes en ce premier XXe siècle. Celle-ci était une figure rennaise originale, peu connue avant cette biographie ; or, elle a marqué son époque et l’Ille-et-Vilaine. Pour la trouver et la re-trouver, C. Cosnier a dû mener une enquête dans les archives et bibliothèques mais aussi auprès des descendants, afin de reconstituer sa vie privée et publique, rechercher les articles parus dans de nombreux journaux de gauche et d’extrême gauche, parfois éphémères.

L’arrivée à Rennes en 1897 d’une jeune Parisienne : un choc

Louise Bodin, née à Paris en 1877, est la fille d’un fonctionnaire de la préfecture de la Seine qui avait été révoqué pour avoir tenu l’état civil pendant la Commune. Orpheline de mère, elle partage alors son temps entre l’école et les lectures, passe ses vacances dans le Loir-et-Cher. C’est probablement là qu’elle rencontre Eugène Bodin, fils du directeur de l’école d’agriculture des Trois-Croix. Il devient à 29 ans médecin suppléant à l’Hôtel-Dieu de Rennes et professeur suppléant à l’École de médecine. Ils se marient en 1897 ; elle a 20 ans. C’est un début de vie classique dans la bourgeoisie, même républicaine et laïque.

À la fin du XIXe siècle, l’arrivée à Rennes pour cette jeune Parisienne est un choc. Rennes est alors une ville de 70 000 habitants, où la présence de l’armée et de l’Église est très prégnante. C. Cosnier nous en fait une description très vivante et parlante, montrant bien comment Louise Bodin est désemparée par cette ville très provinciale, malgré une université de 1 500 étudiants.

Deux ans après son arrivée, a lieu à Rennes la révision du procès Dreyfus. Politiquement, si l’on en croit le témoignage de sa cousine Lucile Ducuing, elle paraît fortement antisémite, révérant Drumont. En même temps enceinte de son premier enfant, elle est assez éloignée du procès Dreyfus. Mère de trois enfants, un garçon, l’aîné, et deux filles, elle mène une vie de mère de famille et paraît peu en société ; son mari, lui, est accaparé par ses recherches. Cette première partie de sa vie de femme mariée ne laisse en rien présager que cette bourgeoise va devenir une militante et une responsable du Parti communiste français dans les années 1920 !

Féministe, elle préside le groupe rennais de l’Union française pour le suffrage des femmes

Toutefois, elle prend peu à peu conscience de la misère des ouvrières et de son statut privilégié au regard de la condition des femmes en cette fin de siècle et au début du XXe siècle. Elle se détache progressivement de l’attitude convenue d’une femme de la bourgeoisie en commençant à écrire comme critique littéraire aux Nouvelles Rennaises.

Si être critique littéraire peut encore apparaître comme tolérable pour une femme à cette époque, dans la bourgeoisie rennaise, ce l’était moins d’écrire dans un journal radical-socialiste en opposition totale avec les deux grands quotidiens régionaux catholiques, L’Ouest-Éclair et Le Nouvelliste de Bretagne. Cela signifiait clairement qu’elle appartenait certes à la bourgeoisie mais la bourgeoisie républicaine laïque, c’est-à-dire un tout petit milieu dans ce petit milieu bourgeois rennais, habituellement à droite et catholique.