Louise Bodin à Rennes : la Bolchévique aux bijoux
« Petit » comme elle le ressentit, lorsqu’elle alla proposer à Paris ses premiers écrits ; mais, que ce soit à Paris ou en province, il ne fait pas bon être une femme pour être reconnu. Se développe alors chez elle un féminisme qui la fait participer puis présider le groupe rennais de l’Union française pour le suffrage des femmes. Désormais, elle fréquente les universitaires républicains laïques rennais : Henri Sée, Georges Dottin, Victor et Hélène Basch. Elle fait paraître un recueil de lettres, Les Petites Provinciales, dont C. Cosnier nous livre des extraits, révélateurs de sa plume ironique et percutante et qui trouve un bel écho dans La Pensée bretonne fondé par Yves Le Febvre.
Le choc de la Première Guerre mondiale est concret pour elle et s’appuie sur son activité d’infirmière-major, la mobilisation de son mari comme médecin-chef, puis celle de son fils. À partir de 1916, elle se reconnaît dans les messages pacifistes. Ses articles dans plusieurs journaux parisiens s’appuient sur la vie à Rennes, le travail des femmes et leurs conditions de vie, à l’arsenal en particulier. Dans le tumulte et l’angoisse de ces années de guerre, Louise Bodin se forge une conscience politique ; pour elle, le lien est évident entre socialisme, suffragisme, pacifisme et féminisme. Tout en continuant d’écrire pour La Pensée bretonne, elle cofonde le journal à vocation nationale La Voix des Femmes en octobre 1917 et en devient rédactrice en chef.
Sa vie militante s’accentue après la fin de la guerre, qu’il s’agisse de conférences, d’articles de presse pour lesquels elle est de plus en plus sollicitée. Elle va fréquemment à Paris et y rencontre à L’Humanité, à La Vie ouvrière, Jean Longuet, Romain Rolland, Séverine, etc. Elle devient membre de la section rennaise de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), auréolée par ses contributions dès 1919 au Populaire et à L’Humanité. Cet engagement la conduit à rompre toute collaboration avec Yves Le Febvre qui ne partage pas son pacifisme.
Un article en une de L’Humanité du 9 août 1920 en réaction à la loi de 1920 sur l’avortement
Au lendemain de la guerre, une grande partie de son militantisme est consacrée au sort particulièrement difficile des femmes et des enfants du fait des conséquences de la guerre : famine, rachitisme, tuberculose et les ravages de la syphilis sur laquelle elle écrit des articles bénéficiant des renseignements médicaux fournis par son mari. Ce dernier est revenu de la guerre, nous dit l’autrice, antimilitariste et est très attentif au travail de sa femme, même s’il ne partage pas ses idées politiques. Celle-ci réagit bien sûr à la loi de 1920 sur l’avortement et l’interdiction de la publicité des méthodes contraceptives et son article est publié en une de L’Humanité du 9 août 1920.
Par féminisme et par pacifisme, elle adhère au Parti communiste français (PCF) qui vient d’être fondé en décembre 1920 ; même si aucune source ne permet de le corroborer, on peut penser avec C. Cosnier qu’elle suit alors le même itinéraire que d’autres intellectuels marqués par la guerre et qui déchantèrent lors de la bolchevisation du PCF. Elle participe au congrès de Marseille en 1921 et devient la secrétaire de la Fédération communiste d’Ille-et-Vilaine.
Cela ne se fait pas sans déchirements, tiraillements dont nous fait part l’autrice, entre famille et militantisme, entre ses engagements antérieurs et ce choix du PCF, d’autant plus que le nombre d’adhérents est restreint et qu’il n’est pas rare que les réunions ne rassemblent pas plus de dix personnes. Il faut ajouter à cela les premiers soucis de santé et les débats et anathèmes qui se succèdent au sein du PCF en ce début des années 1920 entre trotskystes et léninistes au sein de la IIIe Internationale.