Une somme sur les liens de la Bretagne avec l’Irlande et la Grande-Bretagne entre 400 et 1203
Le sous-titre, « contact, mythe et histoire », vient souligner un parti pris important de l’autrice. Comme elle l’expose en introduction, les historiens ont trop réduit leur intérêt aux sources élaborées de façon contemporaine aux événements, ce qui a laissé place à une interprétation romantique des récits postérieurs. L’ambition de C. Brett est, au contraire, de proposer à chaque fois une étude à deux niveaux, en relevant pour chaque période les traces des contacts développés entre la Bretagne et les îles britanniques, mais aussi les idées des contemporains sur ces contacts, et leur projection, imaginaire ou fondée, dans le passé.
L’installation des Bretons entre 450 et 800 et leur séparation progressive de part et d’autre de la Manche
Le premier chapitre traite de l’archéologie et des origines de la Bretagne et revient sur l’absence de visibilité archéologique des migrations des îles britanniques vers l’Armorique. Alors que l’ouest de la Grande-Bretagne est caractérisé, entre 400 et 800, par la présence de sites et de tombes privilégiés, où des individus étaient inhumés avec des armes, aucune découverte précieuse n’a été faite pour la même période en Bretagne. Cela peut être dû au faible nombre de sites continentaux fouillés, mais aussi à des comportements différents. Est-ce parce que les nouveaux venus étaient d’origine sociale modeste ? ou parce qu’ils ne souhaitaient pas affirmer de différence ? ou parce que le calme relatif de la péninsule ne fournissait pas les affrontements qui permettaient l’enrichissement d’une élite guerrière ? L’archéologie préventive a récemment permis la fouille de sites d’habitat rural breton caractérisés par un mode de vie simple ou élitaire, mais sans objet de luxe importé, ce qui contraste avec l’importante circulation d’éléments non matériels (langue, saints et écritures) et pourrait correspondre à des élites aux moyens limités.
Le deuxième chapitre traite de l’installation des Bretons entre 450 et 800 et de leur séparation progressive de part et d’autre de la Manche. L’autrice passe en revue les rares sources écrites sur la période et considère que le démembrement des civitates antiques eut lieu plus tôt en Bretagne que dans les zones voisines, ce qui entraîna une disparition plus rapide du système de taxation romain. Un système social avec des machtierns exerçant leur domination sur un petit groupe rural aurait donc pu être mis en place dès la migration, bien qu’il n’apparaisse dans les sources qu’au IXe siècle, tandis que les différents royaumes bretons sur le continent n’auraient constitué que l’extension des royaumes britanniques jusqu’au VIIIe siècle.
Les élites des Bretons seraient restées à l’écart des élites gallo-romaines et franques, probablement en lien avec les disputes autour du calcul de la date de Pâques qui séparèrent les christianismes franc et insulaire du milieu du VIIe siècle jusqu’au ralliement au comput romain des élites du sud du Pays de Galles, en 768. L’autrice pose l’hypothèse que l’affirmation d’une identité séparée n’aurait été développée qu’en réponse à l’idéologie carolingienne, à partir du IXe siècle.
Des contacts entre la Bretagne et les îles britanniques familiers et institutionnels à la fin du VIIe siècle
Le troisième chapitre réfléchit à ce développement en étudiant les liens entre la Bretagne et son passé insulaire dans les écrits du IXe siècle. À cette époque, les érudits gallois et bretons ont proposé de nouveaux récits de leurs origines, qui semblent répondre à l’affirmation franque: C. Brett relève le rôle majeur joué dans la constitution de ces dossiers hagiographiques par les sièges épiscopaux reconnus par les Carolingiens (ceux de Samson, Paul Aurélien et Malo) et les abbayes bénédictines réformées sous leurs auspices (fondées par Guénolé et Magloire). Les Vies de saints s’inséraient dans la présentation des origines bretonnes fournie au début du IXe siècle : elles reprenaient le modèle fourni par la Vie de saint Samson, pour une origine insulaire du saint fondateur breton, ainsi que des allusions générales à une migration depuis la Grande-Bretagne.
Les Vies composées dans le monde breton ou gallois partageaient un certain nombre de caractéristiques : leur production était irrégulière, liée le plus souvent à des fondations monastiques. Elles ne comportaient pas de récit de conversion du peuple, supposé déjà chrétien, et n’intégraient pas de miracles post mortem. Néanmoins, les liens envisagés entre la Bretagne et le monde insulaire y étaient variés et l’autrice en propose une étude détaillée. Elle conclut de ces récits hagiographiques que les contacts entre la Bretagne et les îles britanniques paraissaient familiers et institutionnels à la fin du VIIe siècle, alors qu’ils reposaient surtout sur l’érudition au milieu du IXe siècle.
La question des textes hagiographiques est ensuite détaillée au chapitre 6 de l’ouvrage, et il faut peut-être conseiller au lecteur d’y passer directement (p. 231-291). Dans ce chapitre thématique sur les saints et les routes maritimes, C. Brett livre une véritable leçon de méthode qui lui permet de traiter, avec clarté et finesse, les questions longuement débattues autour de la toponymie bretonne. Ses conclusions nuancées fourniront une base assainie de discussion et de mise en perspective du phénomène.