« Croire » à la fin du Moyen Âge : les sources relatives au procès du duc de Bretagne, Charles de Blois
La cheville ouvrière du procès : Raoul de Kerguiniou, un Frère mineur de Guingamp
Remarquablement édité et pourvu de tous les apparats et outils scientifiques nécessaires (cartes, index, notes, liste des manuscrits, et même une belle iconographie de nature illustrative), ce volume surclasse aisément l’ancienne édition des actes du procès d’Angers, aussi lacunaire qu’obsolète, publiée par le père Antoine de Sérent un peu plus d’un siècle plus tôt sous le titre de Monuments du procès de canonisation du Bienheureux Charles de Blois, duc de Bretagne, 1320-1364 (Saint-Brieuc, R. Prud’homme, 1921).
Cet ensemble documentaire sur les procès d’Angers n’éclaire en réalité que la phase préliminaire du processus qui, s’il était parvenu à son terme, aurait conduit Charles de Blois sur les autels, mais il n’en demeure pas moins précieux en raison de l’obscurité fréquente dans laquelle baignent encore nombre d’enquêtes du même genre, faute de documentation appropriée.
Ces débuts du procès situés à la curie d’Avignon mettent notamment en valeur le rôle de Raoul de Kerguiniou, un Frère mineur de Guingamp, principal représentant des Penthièvre et véritable cheville ouvrière du procès. C’est lui, semble-t-il, qui prit soin de choisir les personnes appelées à témoigner à Angers sur la vie, les mérites ainsi que les miracles surtout post mortem du défunt duc. A contrario, les pièces introductives (p. 35-55) du procès rendent comptent également, une fois les résultats de l’enquête par témoins réalisée à Angers retournés à la curie pontificale, des efforts de Jean IV de Montfort pour enrayer le processus judiciaire. Le combat déjà remporté sur terre par ce dernier contre Charles de Blois se poursuit ainsi dans le ciel avec la papauté pour arbitre et surtout pour juge.
Le lecteur, de plain-pied dans la fabrique de la sainteté au XIVe siècle
Par son ampleur matérielle, par sa rigueur et son formalisme juridique, cette imposante série d’interrogatoires se donne comme le pur produit de l’administration pontificale, bien loin de l’idée de déclin encore souvent associée à la papauté d’Avignon. Le dossier introduit ainsi le lecteur de plain-pied dans la fabrique de la sainteté au XIVe siècle. La personnalité de Charles de Blois s’efface derrière son double idéalisé, parangon de toutes les vertus attendues de la part d’un candidat laïc et aristocratique à la sainteté. Interrogés selon un ordre défini à l’avance, les 164 témoins s’accordent à souligner les éminentes qualités religieuses de Charles, lequel, par exemple, n’aurait pas hésité à porter le cilice jusque sur le champ de bataille (p. 153).
À ce stade encore préliminaire du processus (1371), il s’agit bien encore avant tout de confirmer l’existence d’une renommée (fama sanctitatis) préalable, une dimension sans doute essentielle de la sainteté, comme le relèvent les auteurs (p. 13), mais aussi, et peut-être surtout, comme il aurait été utile de le souligner, une condition juridique indispensable à la poursuite effective et au bien-fondé du véritable procès en canonisation. Par ailleurs, si la richesse et la qualité des témoignages au sujet des miracles attribués à Charles de Blois peuvent constituer, au premier abord, une source inépuisable d’anecdotes pittoresques propres à étayer la notion de « crédulité » ou de « croyance » médiévale (images saignantes, résurrections d’enfants, etc.), elle constitue aussi et surtout pour l’historien un sujet majeur de réflexion sur les modalités du « croire » à la fin du Moyen Âge.
C’est ainsi qu’il aurait fallu pendre deux fois un condamné pour bien s’assurer, sur un mode quasi expérimental et à travers la réitération de la corde coupée, de la réalité du miracle (p. 422-424). Le médecin est également convoqué pour attester de ce que le condamné ne serait finalement pas mort des suites de sa double pendaison, mais bien de sa chute malencontreuse sur une pierre ! Il y a dans les pièces de ce procès en canonisation matière à renouveler l’étude de la fabrication de la sainteté du point de vue de la construction de la vérité.