Plogoff : une lutte au bout du monde

Les femmes de Plogoff : un engagement total

La troisième partie « Nucléaire non merci ! » s’ouvre sur un historique du développement du nucléaire en France depuis les travaux des Becquerel, père et fils, et de Pierre et Marie Curie jusqu’à la création du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) en 1945, la mise au point de la bombe, la construction des centrales durant le septennat de Giscard d’Estaing achevées plus discrètement sous Mitterrand jusqu’au désastreux (en coût et en maîtrise technologique) et inachevé EPR de Flamanville. L’auteur de cette mise en perspective est Gérard Borvon, professeur de sciences physiques et animateur du CLIN de Landerneau lors des combats de Plogoff, futur responsable des Verts du Finistère. Au passage, il révèle deux graves accidents intervenus dans la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), en 1969 et en 1980, mais gardés secrets jusqu’en 2011.

Dans un autre texte, Gérard Borvon retrace la brève histoire des premiers journaux écologistes bretons : Nukleel  ?, organe de liaison des CLIN qu’il a lancé en 1978, le « mensuel écologique breton » Oxygène (1979) et Le Canard de Nantes à Brest (1978), un hebdomadaire généraliste engagé dirigé par Pierre Duclos, aux côtés des gens de Plogoff. Marie Nicolas montre en quoi la pollution radioactive nuit à la santé et Christine Aubé s’interroge : « Où sont les femmes ? ». Or, leur engagement est total à Plogoff aussi bien Annie Caval, présidente du comité de défense de Plogoff en 1979 après la démission du maire, ou Amélie Kerloc’h, que les habitantes du Cap en première ligne contre les gardes mobiles et les violences policières,comme les photographies et les films en témoignent, chaque jour lors des six semaines de l’enquête d’utilité publique (31 janvier-14 mars 1980). Après des débuts difficiles en 1974-1975 rappelés par Fañch Moal, les femmes sont de toutes les grandes manifestations, assurant en outre l’intendance.

Plogoff : luttes écologiques et création artistique

Dans la quatrième partie, « Des artistes engagés dans la lutte », richement illustrée d’affiches et de chansons militantes, en français et en breton, le graphiste Fañch Le Henaff donne plusieurs textes : l’histoire du logotype créé en 1975 au Danemark et décliné en de multiples langues « Nukleel  ? Nann trugarez (Nucléaire ? Non merci) ; les phases de la lutte de Plogoff en images ; Jean Kergrist, le clown atomique et son fameux Théâtre national portatif ; la participation en concert et en écriture de textes de la génération des chanteurs et groupes bretons engagés dans les années 1970 (Dan Ar Bras, Alan Stivell, Gilles Servat, Sonerien Du, Tri Yann et beaucoup d’autres).

Dans la cinquième partie « l’ample écho médiatique » de Plogoff, le jeune « localier » de Ouest-France de Douarnenez, Théo Le Diouron, évoque la manière dont il a été plongé dans ce conflit, sans préparation, coincé entre la population et les forces de l’ordre, s’efforçant de s’en tenir « au parti pris des faits » et au « parti pris des gens », sans moyens de communication modernes, mais placé sur écoutes. Ainsi, à telle occasion, le contenu de ses papiers à sa rédaction rennaise et à l’Agence France-Presse (AFP) a pu être démenti par la police et par la préfecture de Quimper avant même d’être publiés !

De même, Jean Guisnel, le jeune journaliste de Libération en Bretagne, raconte comment il a couvert la lutte de Plogoff. L’action de la radio libre, alors illégale, de la commune est évoquée ainsi que les cinq films qui ont été consacrés à ce conflit emblématique dont le célèbre Plogoff, des pierres contre des fusils de Nicole et Félix Le Garrec tourné au cœur des affrontements en 1980.

On le voit, ce livre, qui se veut commémoratif, mais aussi engagé, apporte des éclairages intéressants sur un conflit victorieux, grâce à l’alternance politique de 1981 et non en faisant fléchir l’État. Mais en dépit du soulagement et des festivités de 1981, cette lutte a laissé des traces profondes et des déchirures dans le cap Sizun tout en alimentant une riche création artistique. Avec les marées noires, Plogoff a contribué à développer une certaine conscience écologiste en Bretagne, les luttes écologiques prenant le relais des luttes sociales des années post-1968. À l’heure où la plupart des candidats à l’élection présidentielle de 2022 se proposent de relancer le programme nucléaire en France, les futurs responsables seraient bien avisés de se souvenir de l’effet Plogoff après l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Christian BOUGEARD

Cette recension a été initialement publiée en 2022 dans le tome C des Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, volume II, p. 806-809.

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