Plogoff : une lutte au bout du monde
Jean MOALIC, Gilles SIMON, Fañch LE HENAFF (coord.), Plogoff, une lutte au bout du monde, Châteaulin, Locus Solus, 2021, 175 p.
Quarante ans après l’abandon par le nouveau pouvoir de gauche du projet de construction d’une centrale nucléaire à Plogoff (Finistère) — le décret d’abrogation de la déclaration d’utilité publique date du12 décembre 1981 —, un collectif d’auteurs, rassemblé par l’Association Plogoff mémoire d’une lutte/Memor Stourm Plougoñ publie un bel ouvrage sur cette mobilisation dans le cap Sizun qui s’est déroulée de 1976 à 1981 et qui a connu son acmé le 24 et 25 mai 1980 en rassemblant plus de 100 000 opposants à la baie des Trépassés.En effet, c’est autant un album richement illustré de cartes, d’affiches militantes liant les combats de Plogoff et ceux du Larzac (en Aveyron, 1980), de photographies (en noir et blanc et en couleurs) souvent inédites, d’articles de presse, de papillons, de badges et d’autocollants qu’un livre sur le combat antinucléaire et ses nombreuses facettes. Entretenir la mémoire de ce conflit et en rappeler l’histoire n’est pas le seul objectif affiché puisque la dernière partie se prolonge jusqu’à nos jours : “Plogoff, un souffle pour les luttes contemporaines (1981-2021)”.
Les témoignages des acteurs, les travaux des chercheurs
Gilles Simon, un des maîtres de l’ouvrage, auteur d’une thèse de sciences politiques publiée aux Presses universitaires de Rennes en 2010, Plogoff. L’apprentissage de la mobilisation sociale, dont les Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne avaient rendu compte en 2011 (p. 510-517), analyse les mobilisations ultérieures en Bretagne renvoyant aux combats récents, de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes au centre de stockage des déchets de Bure dans la Meuse. À La Plateforme de Porsmoguer — site du Léon un temps envisagé pour y construire la centrale — du 6 décembre 1975 qui fédère de fait les comités régionaux et locaux d’information nucléaire (CRIN et CLIN), chargés de sensibiliser la population aux dangers de l’atome civil, répond l’Appel de Plogoff du 30 août 2020 montrant que les opposants des années 1970n’ont pas baissé les bras. En effet, se mêlent les témoignages ou les œuvres d’acteurs très engagés dans le combat antinucléaire, tels Jean Moalic ou le graphiste Fañch Le Henaff à l’initiative de cette publication, et les travaux de chercheurs.
L’ouvrage est structuré en six parties composées de courts textes de nature différente et d’illustrations insistant sur les dimensions régionale, écologique et citoyenne de Plogoff. Gilles Simon et Jean Moalic resituent d’abord l’histoire de Plogoff à partir de la décision du gouvernement de Pierre Messmer (mars 1974) mise en œuvre par Valéry Giscard d’Estaing de doter la France d’un réseau de centrales nucléaires pour répondre aux effets économiques du premier choc pétrolier. Dès lors, EDF doit chercher des sites (deux en Bretagne dont un en Loire-Atlantique). À partir de 1974, une dizaine de sites, préprojets et projets, sont successivement envisagés en Bretagne historique déclenchant les premières oppositions fortes comme à Erdeven dans le Morbihan, avant de se fixer sur le site de Plogoff où la mobilisation commence en 1976 et au Pellerin près de Nantes.
Le site de Feunteun Aod, entre nature et mémoire
En décalage, pariant sur une population qui paraît indifférente, les assemblées régionales et départementales (de droite) des deux régions se rallient à ces projets de l’État quand les élus locaux (les deux maires de Plogoff, Jean-Marie Kerloc’h, PS, puis Amélie Kerloc’h, et les militants écologistes d’Evit Buhez ar C’hab s’y opposent dans une période de forte conflictualité sociale et politique. C’est d’abord une histoire de rébellion qui est rappelée dans un utile éclairage historique de Serge Duigou sur la Révolution : de 1793 à 1799, marins et jeunes hommes du cap Sizun, du district de Pont-Croix, préfèrent déserter plutôt que de s’enrôler pour défendre la République. À Plogoff comme ailleurs, on cache les déserteurs, révolte larvée contre les autorités, ce qui fait dire à l’auteur : « Si les pouvoirs publics de la Cinquième République avaient connu l’histoire, ils se seraient peut-être méfiés… ». Tudi Kernalegen, spécialiste entre autres de cette question, retrace brièvement l’histoire de « l’émergence de l’écologie politique en Bretagne (1967-1984) ».
La deuxième partie « Entre nature et mémoire » est centrée sur le site même de Feunteun Aod sur lequel la centrale devait être édifiée. Le militant écologiste et naturaliste François de Beaulieu souligne la richesse de la flore et des écosystèmes de la lande, ainsi que la menace de disparition d’une espèce d’oiseaux, les craves à bec rouge, même s’il reconnaît que ce ne fut pas la motivation principale des opposants. Jean Moalic, animateur d’Evit Buhez ar C’hab et responsable du Groupement foncier agricole (GFA) qui a acheté les terres du site pour y installer des moutons et deux bergeries, se souvient de son installation et de la beauté de la lande de Plogoff. Sur ce projet, la jonction s’est opérée avec les éleveurs du Larzac qui mènent depuis 1973 un combat comparable contre l’extension d’un camp militaire qui connaîtra la même issue qu’à Plogoff. Deux jeunes pêcheurs côtiers d’aujourd’hui témoignent de leur choix professionnel de rester au pays en dépit des difficultés du métier. L’écrivain bigouden Pierre Jakez Hélias dans « La boutique du monde », un beau texte non daté évoquant le cap Sizun, manie l’ironie à l’encontre de décideurs qui ne s’intéressent guère aux aspirations d’habitants attachés à leur pays.