Les langues dans les espaces en situation de partage linguistique : une approche historique
Jean-Luc Le Cam et Erwan Le Pipec (dir.), L’école et les langues dans les espaces en situation de partage linguistique. Approche historique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2024, 385 p.
Ce livre est issu d’un colloque international organisé à Quimper en 2016 par Jean-Luc Le Cam et le Centre de recherche bretonne et celtique. Comme l’indique son titre, il explore le rôle et la place de l’école dans des contextes de contact linguistique, c’est-à-dire des situations où coexistent différentes pratiques linguistiques sur un même territoire. Plus précisément, il s’attache à analyser des cas de « non-concordance entre langue sociétale et langue de l’école » (p. 367), une réalité que cet ouvrage met en lumière et qui, loin d’être marginale, traverse aussi bien l’histoire que les sociétés contemporaines.
Diversité disciplinaire et ampleur temporelle et géographique
Privilégiant une approche historique, cet ouvrage résulte néanmoins d’une collaboration pluridisciplinaire réunissant historiens, chercheurs en sciences de l’éducation, linguistes et spécialistes des langues en situation minoritaire. Cette diversité disciplinaire se reflète dans la pluralité des approches et des méthodes mobilisées. Une autre spécificité de l’ouvrage réside dans son ampleur temporelle et géographique : il couvre une période s’étendant du haut Moyen Âge à l’époque contemporaine et s’appuie sur des terrains d’étude variés, couvrant plusieurs pays européens (France, Italie, Allemagne), ainsi que la Russie, la Tchéquie et l’Algérie. Il analyse ainsi la situation d’un grand nombre de langues, du latin au tamazight, en passant par le tchèque, le basque, l’occitan, l’allemand, l’italien ou encore le français.
Ces langues ont pu connaître d’importantes mutations de statut au cours du temps. Le latin, par exemple, est passé du statut de langue de prestige et de diffusion étendue à celui de « langue morte » selon l’expression couramment utilisée dans la langue ordinaire. De même, certaines langues régionales de France, autrefois exclues du système scolaire, ont progressivement accédé à un enseignement bilingue institutionnalisé.
L’introduction d’un historien, la conclusion d’un sociolinguiste
L’ouvrage comprend vingt-trois articles, encadrés par une introduction de l’historien de l’éducation J.-L. Le Cam, qui présente l’origine de la réflexion, la problématique générale du colloque et les différentes contributions et par une conclusion d’Erwan Le Pipec, qui offre le regard d’un sociolinguiste sur ces questions. Si le contenu de l’ouvrage dépasse le cadre de la langue bretonne ou des langues régionales de France et de leurs relations avec l’école, la situation de la Basse-Bretagne constitue néanmoins un point d’ancrage de cette publication.
Quatre articles sont ainsi spécifiquement consacrés au breton, illustrant les dynamiques sociolinguistiques et éducatives propres à cette région. Deux de ces articles portent sur les raisons pour lesquelles le breton n’est pas devenu une langue de scolarisation sous l’Ancien Régime (E. Le Pipec) et sur l’usage du « symbole » et d’autres méthodes visant à exclure le breton de l’école (Fañch Broudic). Les deux autres articles s’appuient sur des enquêtes sociolinguistiques auprès de locuteurs et locutrices ayant vécu le changement de langue en Basse-Bretagne dans la première moitié du xxe siècle (Armelle Audic et Nelly Blanchard).
Cinq dimensions de la relation entre l’école et les langues
Structuré en cinq grandes parties, l’ouvrage explore différentes dimensions de la relation entre l’école et les langues :
- La première partie – « Du latin aux langues vernaculaires » – retrace la prédominance du latin dans les systèmes scolaires européens avant d’analyser son déclin progressif au profit des langues vernaculaires. À travers des études de cas en France, en Italie, en Allemagne et en Tchéquie, elle met en lumière les dynamiques linguistiques qui ont façonné l’évolution des pratiques éducatives.
- La deuxième partie – « Frontières sociales et culturelles » – est consacrée à la question des frontières – au sens social, culturel et géographique –, à leur impact sur les pratiques linguistiques et à leur prise en compte dans l’éducation.
- La troisième partie – « Politiques scolaires et langues minoritaires en France » – s’attache à analyser les politiques scolaires, au sens large, mises en place en France. Elle couvre une période allant de l’Ancien Régime, où l’Église jouait un rôle dans l’enseignement, jusqu’aux débats contemporains sur la préservation et la transmission des langues en situation minoritaire. Elle s’intéresse notamment aux mesures prises sous la IIIe République et à la loi Deixonne (1951), qui a ouvert la voie à l’introduction de certaines langues régionales (breton, basque, occitan, notamment) dans le système éducatif national.
