Joséphine Pencalet à Douarnenez : la belle biographie d’une « invisible » de l’histoire

Fanny BUGNON, L’élection interdite. Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne (1886-1972), Préface de Michelle Perrot, Paris, Seuil, 2024, 282 p.

L’historienne de l’université Rennes 2 nous donne une solide biographie d’une femme du peuple, Joséphine Pencalet, une ouvrière des conserveries de sardines Amieux Frères de Douarnenez, une sardinière ou Penn Sardin, restée longtemps une inconnue de l’histoire.

C’est d’abord une recherche d’histoire politique car ce sont les élections municipales de 1925 qui projettent brièvement sur le devant de la scène cette ouvrière qui a activement participé à la grève de la fin de 1924, mais aussi d’histoire sociale puisque l’auteure replace Joséphine Pencalet dans son milieu familial au sein de la société maritime originale de Douarnenez et des ports de pêche du Finistère sud des années 1890-1930. Dans le cadre de l’histoire du genre, l’historienne s’appuie sur les travaux les plus récents consacrés à l’histoire des femmes dont sa préfacière Michelle Perrot a été une pionnière.

La vie ordinaire de Joséphine Pencalet dans les enjeux de son époque

Pour retracer la vie de Joséphine Pencalet, qui a laissé peu de traces écrites personnelles, Fanny Bugnon est partie des travaux des historiens de Douarnenez, en particulier ceux de Maurice Lucas, qui le premier a exhumé l’élection de l’ouvrière d’usine, et de Jean-Michel Le Boulanger, complétés d’articles de Jean-Christophe Fichou, spécialiste de l’histoire des conserveries de sardines notamment dans son habilitation à diriger des recherches, non publiée.

De son côté, l’historienne a dépouillé de nombreux fonds des archives publiques de plusieurs villes et départements (du Finistère et de région parisienne), mais aussi du Parti communiste français (PCF) et du Komintern, la troisième Internationale communiste (IC), puisque Douarnenez a élu une municipalité communiste dans l’entre-deux-guerres. En outre, elle a fait appel à la mémoire familiale des descendants de la militante syndicale pour tenter de combler les trous de sa biographie. Si Joséphine Pencalet sert bien sûr de fil directeur, l’historienne replace toujours sa vie ordinaire dans les enjeux politiques, économiques et sociaux de son époque en mobilisant de très nombreux travaux historiques et sociologiques.

Une figure dans la lumière, avant de retomber dans l’anonymat

Fanny Bugnon s’interroge d’abord sur la manière dont Joséphine Pencalet, élue conseillère municipale de Douarnenez en mai 1925 sur la liste du maire communiste Daniel Le Flanchec, est devenue une figure. Elle a alors très brièvement pris la lumière, mise en avant dans la presse et la propagande nationale et régionale du PCF, avant de retomber dans l’anonymat.

La Penn Sardin est redécouverte dans les années 1970 par la mémoire locale, en partie pour des raisons politiques, à partir de l’élection en 1971 de la municipalité de gauche dirigée par le communiste Michel Mazéas. Mais sa figure est à peine évoquée dans les mémoires (On chantait rouge, 1977) de Charles Tillon qui, comme responsable régional de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU), la CGT « unitaire » à direction communiste, a animé la grande grève des Penn Sardin de 1924 et a été lui aussi élu dans la municipalité Le Flanchec en 1925.

Jusqu’aux années 2000, l’ouvrière n’occupe qu’une place assez marginale dans la mémoire locale avant de devenir une sorte d’héroïne mythique incarnant les luttes ouvrières et féminines, d’intéresser les médias, les cinéastes et d’avoir une rue à son nom en 2006, d’ailleurs sans inauguration officielle en 2008 car entre temps la municipalité avait changé de couleur politique.

Les étapes d’une vie assez ordinaire : embauchée à l’usine à 13 ans

Alors que certains ont voulu en faire « une icône féministe », Fanny Bugnon restitue au plus près les étapes d’une vie assez ordinaire. Joséphine Pencalet est née à Douarnenez, le 10 août 1886, dans une famille très nombreuse, douzième enfant sur treize d’un père marin pêcheur et d’une mère ménagère. C’est une ville en plein croissance démographique et économique du fait de l’essor de la pêche, une activité masculine, et de l’industrialisation des « friteries » ou « fabriques », ces conserveries de poisson qui font appel à une main-d’œuvre saisonnière féminine durement exploitée (bas salaires, pénibilité du travail).

Avant 1914, plusieurs crises provoquées par la raréfaction du poisson frappent la pêche et la mono-industrie. Par exemple, en 1903, 3 000 ouvrières sont privées de travail et doivent être secourues. Les grèves sont fréquentes. Il existe des syndicats pour défendre les revendications ouvrières.

Après un an de pensionnat chez les ursulines de Quimperlé, à la mort de sa mère, Joséphine Pencalet a sans doute été embauchée à l’usine en 1899, à 13 ans. Mais aucune source ne permet de suivre son parcours professionnel avant 1928, année où elle est enregistrée comme sardinière chez Amieux.

Pour la jeune bretonne, Argenteuil c’est un changement de vie et d’univers