83 Romains d’Armorique identifiés par l’épigraphie : un ouvrage parfaitement documenté et illustré

Jean-Yves ÉVEILLARD, Romains d’Armorique, Morlaix, Skol Vreizh, 2024, 103 p.

Cet ouvrage est le troisième publié par l’auteur dans la maison d’édition morlaisienne, après un livre consacré aux sources littéraires évoquant l’Armorique antique (2013) et un volume sur les voies romaines en Bretagne (2016) (1). L’ouvrage recensé complète remarquablement le premier de la série, puisque ce sont ici les sources épigraphiques qui, pour l’essentiel, sont mises à contribution pour évoquer les Romains d’Armorique : les textes gravés sur pierre, dans les formats les plus variés, depuis l’inscription monumentale jusqu’au cachet d’oculiste en passant par de modestes plaquettes de schiste, dominent la documentation, mais les graffitis sont convoqués fort à propos ; l’échantillon présenté ici – dont il y a tout lieu de penser qu’il est amené à s’accroître dans les décennies prochaines – permet de mesurer l’apport de ce type de sources pour une région dont l’épigraphie monumentale est des plus indigentes.

L’intégration de la région à la construction impériale

Les sources hagiographiques ne sont pas négligées et trois martyrs nantais trouvent place dans le volume, qui retient aussi un anthroponyme gravé sur une bague. C’est dire que l’auteur, qui avait déjà su exhumer dans son précédent ouvrage des textes méconnus et présentant pourtant une grande valeur documentaire, s’est donné les moyens de l’exhaustivité, recensant 83 individus, chiffre dont la modestie dit bien la relative rareté des sources écrites dans l’horizon régional.

Le titre est en soi un véritable programme, puisqu’il lève toute ambiguïté sur l’intégration de la région à la construction impériale. Les « Romains » dont il est question sont tantôt des individus qui ont reçu la citoyenneté romaine, tantôt des pérégrins, et parfois des esclaves ; par-delà la diversité des statuts juridiques, ils ont pour point commun d’être les habitants d’une Armorique réduite pour les besoins de l’ouvrage à la Bretagne historique ou ceux qui, originaires de ces régions, sont connus par des textes retrouvés ailleurs, à Bordeaux, Dompierre-les-Églises ou Worms.

Un chapitre sur chacune des cinq civitates de la péninsule

Après une introduction présentant clairement les objectifs de l’enquête et la nature de la documentation mobilisée, l’ouvrage est organisé en cinq chapitres, correspondant chacun à l’une des cinq civitates de la péninsule. Chaque chapitre s’ouvre par une brève présentation de la cité, précisant utilement sa superficie, et nommant son chef-lieu. Sont ensuite évoqués les  individus qui se rattachent à ces civitates. Les notices sont parfois consacrées à des documents individuels, comme la stèle d’Argiotalus, le Namnète inhumé à Worms alors qu’il servait dans une unité auxiliaire, mais elles prennent souvent la forme de véritables petits « dossiers » rapprochant plusieurs documents. C’est le cas des inscriptions commémorant la construction de monuments dans le sanctuaire de Vulcain qui constituait de toute évidence le point focal du quartier portuaire de Nantes, ou encore des stèles funéraires mises au jour au XIXe siècle porte Saint-Pierre, toujours dans le chef-lieu des Namnètes.

Les dédicaces consacrées à Mars Mullo dans plusieurs villes d’Armorique constituent sans doute le plus ample de ces dossiers et celui qui a la plus vaste portée : les magnifiques bases rennaises fournissent en effet des informations de grande valeur sur la structure du panthéon civique d’une cité gauloise – des informations dont les enseignements dépassent de très loin l’horizon régional – et sur la figure du notable idéal, définie avec une grande clarté par le décret pris par l’ordre des décurions en l’honneur de Titus Flavius Postuminus.

Des statues des divinités dans le sanctuaire poliade de la civitas

Nous nous permettrons quelques remarques sur cette série épigraphique : considérant son homogénéité formelle (nature du matériau, dimensions et forme des bases, identité de la gravure), il est probable que toutes les bases sont contemporaines et que leur érection relève d’une même opération : en 135, la civitas a sans doute décidé d’élever dans le sanctuaire poliade des statues des divinités protégeant les subdivisions officielles de la cité que sont les numina pagorum, et trois notables, Postuminus, déjà nommé, Lucius Campanius Priscus et Lucius Campanius Virilis, fils du précédent, ont pris sur eux de traduire en actes ce programme ; le premier, au moins, fut récompensé par plusieurs statues honorifiques, mais rien ne permet d’exclure que les autres aient bénéficié du même honneur.