Arzon au XVIe siècle d’après le terrier de 1548 : l’aboutissement d’un très beau projet
Mis à jour le 13 juillet 2025, 15 :31
Située à l’extrémité de la presqu’île de Rhuys, dans le Morbihan, la commune d’Arzon est surtout connue aujourd’hui pour les deux stations balnéaires que sont Port-Navalo et Le Crouesty, mais aussi parce qu’elle compte le plus fort taux de résidences secondaires de Bretagne, à hauteur de 80 % et qu’elle accueille quelque 45 000 touristes l’été. Voudraient-ils savoir ce qu’était Arzon il y a cinq siècles ? C’est désormais possible.
Dans cette commune de 2 272 habitants, s’est créée en 1995 l’Association de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine arzonnais, l’ASPA, dont la présidente est actuellement Myriam Le Moigne et qui réunit quatre-vingts personnes et fête donc ses trente ans en cette année 2025. Trois de ses membres, Gérard Adolphe, Daniel Jean et Étienne Kahl ont ensuite créé en 2015, il y a donc exactement dix ans, une commission de généalogie-paléographie. Cette commission s’est attachée à découvrir les cartes anciennes lors d’ateliers de cartographie, ainsi que l’héraldique, l’étude des armoiries, la paléographie, l’étude des textes anciens et leur retranscription.
Une archive datant de 1548 restée inédite
En 2019, les membres de l’ASPA entreprennent l’étude du terrier d’Arzon, un document de 434 feuillets, soit 868 pages, datant de 1548, conservé aux Archives départementales de Loire-Atlantique et demeuré jusqu’à présent inédit. Leur travail vient d’aboutir à la publication, sous la direction de Daniel Jean, d’un ouvrage très complet qui propose la transcription intégrale de ce terrier (ou rentier), qui représente un total de 1 600 000 caractères, accompagné de préfaces, d’une introduction, d’études toponymique et patronymique et d’un appareil de notes conséquent.
Dans son introduction, l’historien Dominique Le Page fournit un double éclairage sur le contexte historique des enquêtes qui ont conduit à l’élaboration du terrier d’Arzon d’une part, et, d’autre part, sur le travail exceptionnel qu’ont réalisé les historiens amateurs du cercle généalogique d’Arzon en vue de la publication du terrier. Il reprend la définition de ce dernier terme qu’avait donné son confrère Jean Kerhervé en 2013 lors de l’édition du rentier de Rhuys par La Maison forte (cliquer le lien, puis Morbihan, puis La Maison forte) :
« inventorier ce qui relevait de la directe du maître, établir un bilan administratif et comptable, rechercher et dénoncer les fautes éventuelles et les usurpations foncières, y mettre fin et procéder à de nouvelles adjudications pour accroître le revenu de la seigneurie. »
Le royaume de France face au Parlement de Bretagne
Dans ces années décisives qui voient le duché de Bretagne intégrer le royaume de France, l’objectif était de reprendre en main la gestion des principales composantes du domaine royal en Bretagne, mais aussi de disposer de rentiers fiables en même temps que d’affirmer la juridiction des gens des comptes face au Parlement de Bretagne.
Même si le terrier d’Arzon, selon D. Le Page, ne donne qu’une vue partielle du domaine de Rhuys, il fournit de précieuses informations, par exemple sur le domaine congéable, les noms des convenanciers, en général des paysans, les superficies, les rentes à payer, la taxe qui pèse sur chaque type de terre, y compris les talus, et selon les cultures. On y rapporte aussi la manière dont ont procédé les commissaires pour accomplir leur tâche entre 1546 et 1548.
Une étude linguistique et onomastique du terrier bienvenue
Les responsables de l’ASPA ont eu par ailleurs la juste intuition de solliciter l’historien et linguiste Gildas Buron, connu par ailleurs pour avoir été le directeur du Musée des marais salants de Guérande, pour une étude linguistique et onomastique du terrier d’Arzon. Pour une raison bien simple : en 1548, Arzon était notoirement de langue bretonne et l’est d’ailleurs demeurée, comme ailleurs en Basse-Bretagne, jusqu’au milieu du XXe siècle.
L’une des questions qui se posent, écrit-il, est celle de la capacité des clercs d’entendre le breton et de s’exprimer dans la langue des convenanciers de 1548. Rien n’est dit sur la présence ou non d’interprètes, mais les arpenteurs et greffiers ont dû jouer ce rôle. Leur français ne laisse filtrer que très peu de tournures idiomatiques, mais certaines formulations peuvent être considérées comme des calques du breton.
Dans sa contribution, Gildas Buron présente dès lors le terrier de 1548 comme un document entre oral et écrit et dans lequel le breton peut être détecté entre les lignes d’un terrier rédigé en français. Outre son étude, il présente un index analytique du breton du corpus onomastique du terrier de 1548, y ajoutant un essai sur les surnoms, noms et prénoms d’Arzon à cette date-là.
Un matériau pour les historiens, pour tous un voyage dans le passé
Dominique Le Page souligne le mérite des généalogistes amateurs d’Arzon qui mettent ainsi à la disposition des historiens une matière extrêmement riche, d’autant que la réformation de 1548 fait date et que le terrier d’Arzon fait partie des derniers dont on dispose pour l’Ancien Régime. Jean Kerhervé, en soulignant l’énorme travail d’une équipe de passionnés attachés à la réalisation d’un ouvrage de qualité, fait part rétrospectivement de ses regrets de n’avoir pu disposer d’un tel matériau quand il préparait sa thèse.
Escomptons que les nouvelles générations d’historiens sauront s’en saisir et que nombreux seront les passionnés d’histoire qui voudront faire un beau voyage dans le passé grâce aux généalogistes d’Arzon. Précisons que Daniel Jean et son équipe, ravis des connaissances qu’ils ont acquises et qu’ils ont su partager avec leurs lecteurs, ont déjà commencé l’étude d’une autre archive : Arzon sous Louis XIV d’après le terrier de 1679-1683. C’est une belle histoire dans l’histoire.
Fañch Broudic
