MICHEL Jean-Yves
Professeur honoraire d’histoire au lycée de Carhaix. Auteur de Religion et politique en Bretagne de 1850-1960. Le cas du Poher, Spézet, Coop Breizh, 2000.
Il est intervenu au congrès 2022 de la SHAB à Carhaix sur le sujet suivant :
François Jaffrennou, dit « Taldir ». Un parcours atypique
Taldir est un notable. Par sa naissance : une ascendance favorable à l’accès aux tud deuz an dud (« les gens d’entre les gens » = « les gens remarquables » = « les notables »). Par ses capacités, bien labourées ; par ses dons physiques et intellectuels : QI élevé, stature, voix forte, chanteur, parolier. Par son premier métier : le journalisme, 1904-1914, puis 1924-1943. Taldir est un original. Il s’est essayé à une synthèse multiforme : républicain catholique, la citoyenneté celtique et le patriotisme français, l’union du peuple et des élites.
Une girouette. Il aime prendre ses contemporains à contrepied : il soutient les prêtres lorsqu’ils sont la cible de toutes sortes de coups, mais il rend hommage aux hussards de la République, sauf pour ce qui concerne la langue bretonne : pour l’énorme majorité des adultes de l’époque, il y a là une contradiction majeure. Et puis, il a un faible pour les protestants qui ne sont pas hostiles à la langue bretonne. Il soutient et fréquente les nobles (Régis de L’Estourbeillon, entre autres), mais il encourage les domestiques agricoles à se syndiquer pour lutter contre les gros propriétaires terriens.
Il pratique volontiers la politique du pire
En 1906 il soutient le candidat de droite (un noble) lors des élections législatives et combat férocement le radical-socialiste, pourtant bretonnant, mais anticlérical ; en 1910, il soutient ce dernier et abandonne le candidat de droite à son sort. Lors des municipales de 1908 à Carhaix, il soutient la liste anti-Lancien, composée de conservateurs catholiques, modérés athées, radicaux-socialistes protestants. Mais il ne s’est jamais présenté au suffrage de ses concitoyens : la peur d’essuyer une humiliation. On a pu mesurer son influence électorale lorsqu’il a déplacé 9 % des suffrages (1910 par rapport à 1906).
La vanité est son plus gros péché. La chasse aux décorations : Instruction publique (!), Arts et Lettres, Légion d’honneur. Lettres-programmes adressées à des personnages de premier plan : Présidents de la République, Pétain ; la recherche des « fonctions » honorifiques (Tir, Rosière) ; la volonté inébranlable d’introduire, par la bande, le breton à l’école publique.
Taldir est une tête de Turc toute trouvée
Haï par les socialistes, les radicaux, les cégétistes, les cheminots, les commerçants en cidre ; détesté par certains prêtres, et non des moindres (l’évêque), car favorable au protestantisme ; mis en quarantaine par certains royalistes, car il défend la mémoire des Bonnets rouges ; vilipendé par les Résistants, surtout ceux de la 23e heure (très proche de l’abbé Perrot, articles pro-allemands dans L’Ouest-Éclair, et surtout dans L’Heure bretonne).
Arrêté en août 1944, détenu à Carhaix puis Quimper ; jugé coupable de « collaboration » ; perte de ses biens et exil à Bergerac ; gracié, comme beaucoup. Mais ne revient à Carhaix que subrepticement et préfère mourir à Bergerac. Sa tombe est surmontée d’un menhir et encadrée par des ifs centenaires, au centre du cimetière de Carhaix. Personne aujourd’hui à Carhaix ne célèbre sa mémoire. C’est comme si cette ville de gauche l’avait ostracisé.