Un millénaire plus tard, le manuscrit du monastère de Locmaria Quimper va revenir en Bretagne
Les collègues de Rennes qui avaient le plus d’argent et des conseillers juridiques ont pris la main et déposé une offre chez Christie’s. Notre offre l’a emporté : on n’avait pas la somme demandée, 300 000 € au minimum. On leur a dit que nous n’avions que ça et qu’on n’irait pas plus loin, on leur a demandé de nous laisser du temps. Ils ont tout simplement accepté notre offre, il n’y a pas eu de surenchère mardi après-midi [le 11 juin]. Ce qui veut dire qu’il n’y avait pas d’autre acquéreur. C’est mieux, parce que nous n’avions pas de réserves.
Les multiples intérêts du manuscrit de Locmaria au regard de l’histoire
Le premier est très certainement qu’il relève de l’aire celtique ou bretonne, car des caractères insulaires font penser à des écritures en Irlande ou au Pays de Galles. Ce qui démontre les liens, les traversées des hommes, des idées : la culture circulait. Le deuxième point est qu’il y a de grandes chances que le manuscrit ait été rédigé à l’abbaye de Landévennec : il y aurait donc des liens à établir avec d’autres manuscrits. Le troisième intérêt enfin, au niveau de l’histoire locale, c’est qu’il a certainement été commandé par les religieuses de Notre-Dame de Locmaria à Quimper, ce qui signifie l’intérêt des religieuses de ce monastère puisqu’elles ont eu alors à leur disposition un ouvrage complet et de très hautes qualités de Bède le vénérable [moine anglo-saxon, né en 672-673, décédé en 735].
La circulation des idées, des manuscrits et des hommes
Le tout met en évidence une circulation intellectuelle considérable pour l’époque d’abbaye en monastère, non seulement celle des idées, des manuscrits, ça on le savait, mais également celle des hommes. Et les monastères féminins n’étaient pas à l’écart : il y en avait très peu, mais on voit qu’ils fonctionnent selon les mêmes modalités que les monastères masculins. D’autant plus que Locmaria était une communauté double : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre.
L’occasion pour le grand public de voir des manuscrits bretons qui ont mille ans
C’est une belle histoire, oui, et c’est en même temps une histoire remarquable, car les partenaires publics nous ont soutenus en un temps record, ça a été fondamental pour l’aboutissement du projet. Car le manuscrit revient au pays. Il va falloir voir où il sera conservé, il faut établir des projets pour le montrer au grand public, pour le valoriser. L’idée est de la présenter à Rennes, à Quimper, à Landévennec, de le mettre en parallèle avec tous les manuscrits des XIe et XIIe siècles qui se trouvent dans des dépôts bretons.
Faire circuler le manuscrit en Bretagne
Plus au travers d’une exposition que d’un colloque, car le très peu de manuscrits que nous avons en Bretagne ont déjà été étudiés récemment. Par ailleurs, un grand projet européen a été lancé il y a quelques années pour étudier l’ensemble des 255 manuscrits dits bretons ou de Bretagne ou produits par des Bretons. Ce projet, monté par nos collègues gallois et irlandais, se termine bientôt. Il y aura alors peut-être une reprise à envisager à partir de ce qu’on aura découvert en Bretagne.
L’idée c’est de faire circuler le manuscrit de Locmaria au moins au niveau des Archives départementales, à chaque fois pour le mettre en parallèle par exemple avec le manuscrit de Saint-Vougay conservé à Quimper ou le cartulaire de Landévennec. Ce serait l’occasion pour le grand public de voir des manuscrits qui ont mille ans pour certains.
- Propos recueillis par Fañch Broudic
- Julien Bachelier est notamment responsable de la licence d’Histoire du pôle universitaire Pierre-Jakez Hélias de Quimper (UBO) et directeur de la collection Ecclesia (CRBC-Brest).
- Cyprien Henry est Conservateur, chef de la mission des archives et du patrimoine culturel, ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
- Julien Bachelier et Cyprien Henry sont membres de la SHAB.